Allos 1 : les premiers habitants
Depuis
l'an 1100 avant Jésus-Christ jusqu'à l'an 1000 de l'ère chrétienne
CHAPITRE Ier
1.-Les
premiers habitants connus d'Allos sont les Gallitae, petits Gaulois. Ils sont
ainsi nommés, sans doute, parce qu'ils formaient une peuplade détachée de ce
grand peuple qui a donné le nom de Gaule à notre patrie. Cette peuplade est non
seulement gauloise, mais elle appartient aux Gaulois les plus anciens, à ceux
qui envahirent l'Espagne (XVIe siècle avant Jésus-Christ) et plus
particulièrement à ceux qui firent irruption en Italie, deux cents ans plus
tard, et que les auteurs latins appellent Vieux Galls Veteres Galli.
Pour arriver à sa première origine, il
faudrait donc remonter à l'aurore des temps historiques, à cette époque
primitive où les peuples d'origine indo-germanique s'établirent dans les
contrées occidentales de l'Europe, occupées aujourd'hui par les Français, les
Suisses, les Belges, etc.
Mais comment les Gallitae sont-ils venus s'établir dans les Alpes ?
A quelle époque ce petit rameau d'un si grand arbre a-t-il été transplanté sur
les rives du Verdon ?
Deux faits constatés, empruntés, l'un à l'histoire des Gaulois, l'autre à
l'histoire romaine et à l'histoire de Provence, répondent à ces deux questions:
1° Une invasion gauloise, organisée sous le nom collectif d'Ombres (Ambra ! les vaillants), traversa les Alpes, vers l'an
1400 avant Jésus-Christ, et alla se fixer dans l'Italie centrale, sur les
terres occupées par des peuplades appelées Sicules. Ceux-ci opposèrent une
résistance désespérée, et les combats dans lesquels ils se mesurèrent avec
leurs envahisseurs furent, au dire des anciens historiens, les plus sanglants
dont l'Italie eût encore été le théâtre. Les Sicules furent vaincus et ils se
retirèrent dans la grande île nommée depuis, à cause de leur nom, la Sicile. Les Gaulois
Ombriens jouirent de leur conquête pendant trois siècles, après lesquels ils
furent dépossédés, à leur tour, par d'autres peuples appelés Rasènes et, plus
tard, Etrusques. Ils reprirent, pour la plupart, le chemin de la Gaule et s'établirent, les
uns en Suisse, les autres sur les bords de la Saône.
Mais, parmi eux, plusieurs , dit Amédée
Thierry, citant des auteurs grecs et latins,
se réfugièrent dans les vallées des Alpes, parmi les nations liguriennes, qui
commençaient à s'étendre sur le versant occidental de ces montagnes et vécurent
au milieu d'elles, sans se confondre, sans jamais perdre ni le souvenir de leur
nation, ni le nom de leurs pères. Bien des siècles après, le voyageur pouvait
distinguer encore des autres populations alpines la race de ces exilés de
l'Isombrie, Insubrium exules (Pline, III, 17 20)
2° Le trophée de la Turbie, monument des
victoires d'Auguste sur les peuples des Alpes, portait une inscription célèbre,
qu'Honoré Bouche appelle la première
lumière, le premier flambeau de la description ancienne de la Provence. Or,
cette inscription donne le nom des peuplades vaincues, dans leur ordre
géographique, et la place qu'y occupent les Gallitae prouve qu'ils habitaient
Allos et Colmars. En effet, ils se trouvent placés, comme nous le dirons plus
loin, en parlant de la domination romaine, entre les habitants des vallées de la Bléone, de Seyne, de
l'Ubaye, d'un côté, et ceux du Haut-Var, d'Annot, de Vergons et d'Allons, de
l'autre. On ne pouvait pas dire avec plus de précision que leur territoire
était dans la vallée du Verdon. Il faut ajouter que leur nom est évidemment
gaulois et le plus manifestement gaulois du trophée de la Turbie et de l'arc de Suse,
comme il est facile de s'en convaincre, en lisant les deux inscriptions.
La conclusion qui se détache du
rapprochement de ces faits, est que l'origine gallo-ombrienne des Gallitae est
établie par les titres les plus incontestables et que l'histoire d'Allos
remonte à l'arrivée des Gaulois-Ombriens dans les Alpes et, par conséquent, à
1100 avant Jésus-Christ.
2-
Le territoire qu'ils occupaient comprenait tout le canton actuel d'Allos et la
plus grande partie de celui de Colmars, depuis le Riou dou traou, en
face du village d'Ondres, jusqu'à la principale source du Verdon, dans la
montagne de la Sestrière,
et même, d'après certains auteurs, sur le versant septentrional de cette
montagne.
L'un de ces auteurs, M. Charles Chappuis , après
avoir rappelé l'opinion de ceux qui reconnaissent le nom de Gallitae dans le
mot Allos, ajoute Ne la reconnaît-on pas encore mieux aux Gays, dans la paroisse de Bouchiers,
et aux Gays, dans la paroisse la Foux ? Et
même vers le haut du Laverq, après avoir passé les Routes et les Vies,
qui indiquent d'anciens chemins aujourd'hui détruits, nous retrouvons encore
les Gays. Les Gallitae auraient
donc, à une certaine époque, empiété sur la vallée de l'Ubaye, c'est-à-dire sur
le territoire des Nemolani ou
des Esubiani. . Les
peuples celtiques habitaient, en général, non les vallées, mais les lieux
élevés, et, pour s'y défendre plus facilement, ils tâchaient de posséder les
villages des environs.
Sous les Romains et au moyen âge, ces lieux
ont reçu le nom de Castellum, Castrum. Le pic de Pra-Chastel, Pratum Castellum, au nord-est d'Allos, était-il un
lieu fortifié, un refuge de cette nature ? Honoré Bouche a supposé que Colmars était
le chef-lieu des Gallitae ; mais Papon donne la préférence à Allos, parce que
Colmars est un nom romain et non gaulois. L'opinion de Papon a prévalu, et
Henri, dans ses Recherches,
affirme que la géographie ancienne donne le nom caractéristique de Gallita au chef lieu actuel du canton
d'Allos
3.-
Les Ligures, avec lesquels les Gaulois Ombriens habitaient nos montagnes,
étaient originaires d'Espagne et ils avaient été obligés de s'expatrier par
suite de l'invasion gauloise qui traversa les Pyrénées vers l'an 1600. Ils
étaient plus civilisés que les Gaulois, puisque, chez eux, les femmes, au lieu
d'être esclaves, étaient souvent appelées dans les délibérations les plus
importantes, surtout lorsque ces délibérations avaient pour objet la paix ou la
guerre.
Annibal lui-même, en traversant le midi de la Gaule,
se soumit à un tribunal composé de femmes liguriennes à demi-sauvages, et il
n'eut qu'à s'en féliciter, selon le témoignage de Plutarque. L'exemple donné
par les Ligures devait avoir tôt ou tard d'heureux effets sur nos ancêtres, en
leur inspirant le respect pour les faibles et en les excitant à cultiver les
germes de civilisation qu'ils avaient apportés de l'Italie. Les habitants de
nos Alpes eurent aussi sans doute des rapports avec d'autres anciens peuples
venus, comme eux, de bonne heure en Provence. Dès le XIe; siècle, les
Phéniciens étaient établis sur les bords de la Méditerranée, et
leurs colons, s'il faut en croire les auteurs anciens, exploitaient les mines
d'or, d'argent et surtout de fer, dans les Alpes, les Cévennes, etc. Ils
pénétraient jusque dans les endroits les plus isolés, pour échanger contre les
produits des régions qu'ils parcouraient leurs articles de commerce, les tissus
de laine, le verre, les métaux ouvrés, les instruments de travail et surtout
les armes.
Le commerce florissant et si étendu des
Phéniciens passa plus tard entre les mains des Rhodiens, et enfin les Phocéens
se fixèrent à Marseille, vers l'an 600 avant Jésus-Christ.
Ces derniers, à peine établis, dit l'auteur de l'Histoire de Barrême, se mirent en rapport avec les peuples de
l'intérieur et ne tardèrent pas à pénétrer jusqu'au fond de nos agrestes
vallées. Les montagnards, de leur côté, suivant leur goût naturel pour la vie
nomade ou bien simplement poussés, comme nos bergers des Alpes, par le besoin
d'aller chercher, en hiver, un climat moins rigoureux pour leurs troupeaux,
furent heureux de trouver des alliés, dans les nouveaux venus et, de là,
naquirent entre eux des relations d'échange et de commerce. Les innombrables
médailles ou monnaies marseillaises découvertes dans le terroir de Barrême en
sont la preuve manifeste.
En effet, ces monnaies d'argent en quantité style='mso-bidi-font-style:
italic'>inconcevable, selon l'expression d'Honoré Bouche, prouvent
qu'avant les Romains il y avait entre les montagnards alpins et les Phocéens de
Marseille des rapports plus fréquents que l'on n'aurait osé le supposer.
Un autre élément de civilisation pour les Gallitae était leur séjour permanent
dans leur nouveau territoire.
Pendant leur retour d'Italie, ils avaient
repris pour un temps la vie nomade et aventureuse ; mais désormais ils sont
fixés définitivement dans les Alpes.
Or, dit judicieusement un historien, les peuples fixés dans un endroit
contractent des habitudes de calme, de douceur, et vivent tranquilles .
Ne nous plaignons donc pas trop du silence qui les enveloppe comme dans un
nuage, pendant des siècles, jusqu'à leurs premières guerres avec les Romains.
L'histoire de ces peuples guerriers n'est que le récit de leurs combats.
Lorsqu'ils ne font pas parler d'eux, ils vivent en paix, s'occupent
d'agriculture, etc., et c'est dans ce sens qu'il faut entendre l'adage :
Heureux les peuples qui n'ont point d'histoire.
Malgré cela, nos pères étaient encore bien
éloignés de la vraie civilisation.
Les habitants des Alpes,
dit Papon, en parlant des moeurs des Provençaux de cette époque, étaient grossiers
et barbares.
L'habitude de vivre de chasse et d'être dans une espèce de guerre continuelle
avec les animaux les plus féroces les rendait sauvages.
Jules César dit à peu près la même chose des Albiciens, parmi lesquels se
trouvaient des Gallitae, au siège de Marseille, et Papon paraît s'être inspiré
du jugement sévère porté par l'historien conquérant.
Parmi ces peuplades, comme dans toute
l'antiquité païenne, l'esclavage était, hélas ! communément établi. Les femmes
et les enfants étaient esclaves, et le chef de famille avait sur eux droit de
vie et de mort
Le vêtement ordinaire des Gaulois de
Provence était composé d'une sorte de pantalon ou braie et d'une veste ou saie qui, chez les pauvres, était une
peau de bête.
Ces vêtements étaient toujours les mêmes du temps des Romains, puisque Cicéron,
défendant Fontéïus, appelle
dédaigneusement les Provençaux des hommes couverts de saies et de braies, sagatos bracatosque.
De là est venu le nom de Gallia bracata, c'est-à-dire dont les habitants
portaient des braies.
4.-Les
Gaulois étaient religieux, - quoi qu'en disent quelques auteurs latins, -
malgré les fanfaronnades qu'ils se permettaient, par exemple en lançant des
flèches contre les nuages, pendant les tempêtes. Ils savaient reconnaître une
intelligence suprême au milieu des éléments de la nature, et leur croyance à la
vie future était telle qu'ils se prêtaient de l'argent payable dans l'autre
vie,
negotiorum ratio et etiam exactio crediti
differabatur ad inferos.
Les Gallitae ont-ils gardé ces grandes
vérités dans leur pureté primitive ou bien les ont-ils souillées par des
pratiques idolâtriques, en rendant un culte superstitieux aux arbres, aux
vents, aux montagnes, aux pierres, aux lacs, au soleil, etc. ? dit
que, dans les Alpes, l'Etre suprême était adoré, du temps des Gaulois, sous le
nom de Penninus, c'est-à-dire, en langue celtique, Dieu des montagnes. Ce nom,
que nos pères donnaient au vrai Dieu, ne prouve pas qu'ils fussent idolâtres,
car les montagnes, comme toutes choses, sont l'oeuvre du créateur et, par leur
élévation et leur masse imposante, elles nous donnent quelque idée de sa
grandeur,
et altitudines montium ipsius sunt. Mais, si nos pères n'ont pas été idolâtres,
n'ont-ils pas pris part aux abominables sacrifices humains de la religion
druidique ? M.J.-M. Cruvellier croit que Soanem, évêque de
Senez, visitant la paroisse de Barrême en 1703, y trouva un reste de monument
druidique. C'était une grande pierre de la colline de Saint-Jean que le prélat
fit briser et jeter dans la rivière, parce qu'elle paraissait
avoir été très longtemps l'objet d'un
culte de superstition par des restes de paganisme.
Henri va plus loin : il affirme que les nombreuses et épaisses
forêts qui couvrent les Basses-Alpes durent souvent voir se renouveler, sous
leurs silencieux ombrages, les mystérieuses pratiques du druidisme, et ces
pierres énormes, par lesquelles la divinité était symboliquement représentée,
durent s'y trouver en grand nombre
L'opinion de cet
archéologue paraît excessive et même erronée, surtout pour ce qui concerne
Barcelonnette et Allos. En effet, d'après les historiens les plus autorisés, la
religion druidique a été importée en Europe, selon l'expression d'Amédée
Thierry, 700 ans environ avant Jésus-Christ, par l'invasion kimrique ou des
Cimbres, qui porte le nom de deuxième rameau gaulois.
Elle ne pouvait donc pas être connue des
Gaulois-Ombriens, venus dans les Alpes 400 ans avant l'arrivée des Cimbres en
Gaule. Il est vrai qu'il y eut plus tard des prêtres druides chez les Ligures,
mais nous avons déjà fait remarquer avec quel zèle religieux et patriotique les
gaulois alpins vivaient séparés de leurs voisins, sans se confondre jamais avec
eux. Ils conservèrent donc la religion gauloise primitive telle qu'ils
l'avaient reçue de leurs pères, et il y a lieu de croire qu'ils ne la
modifièrent pas jusqu'à la domination romaine et peut-être jusqu'à la
prédication de l'évangile.
Les recherches archéologiques viennent,
d'ailleurs, nous confirmer dans cette persuasion. M. Tisserand affirme que,
dans la Provence, on trouve moins que dans
le Nord de ces pierres druidiques théâtres d'horribles sacrifices
Il en signale
cependant quelques vestiges, en particulier à Draguignan. M. Charles Chappuis,
envoyé en mission scientifique dans les Alpes, en 1859 et en 1861, a trouvé,
dans la vallée de Barcelonnette, beaucoup d'objets de l'âge celtique et, dans
le canton d'Allos, des noms rappelant celui des Gallitae ; mais il n'a
rencontré, ni à Barcelonnette, ni à Allos, la moindre trace de monuments
druidiques.
5.-
L'attachement des Gallitae à leur nationalité, à leurs coutumes et à leur
religion nous dit avec quel soin ils durent garder leur idiome national, leur
langue gauloise.
Ils imitaient en cela les autres Gaulois
et, en particulier, ceux qui, après avoir séjourné plus ou moins longtemps sur
les bords du Danube, en Grèce, etc. ; s'établirent en Orient , 300 ans avant
Jésus-Christ, dans une région appelée depuis de leur nom Galatie. Saint-Jérôme,
qui avait été en Gaule, sur les bords du Rhin, et qui se trouvait en Asie
Mineure, à la fin du IVe siècle et au commencement du Ve, nous apprend que ces
Gaulois étaient les seuls, parmi les peuples asiatiques, qui ne parlassent pas
le grec. Ils avaient conservé, dit-il , leur langue particulière, et cette
langue était celle qu'il avait entendu parler à Trèves, sur les rives de la Moselle. Ainsi,
depuis leur départ de la Gaule,
vers l'an 400 avant Jésus-Christ, jusqu'à la fin du IVe siècle de l'ère
chrétienne, ils avaient conservé, à travers l'Europe et l'Asie , leur langue
maternelle
Les
Gallitae et les autres peuplades alpines de la même origine ont été, comme les
Galates, soumis à la domination romaine vers l'an 15 avant Jésus-Christ, et
tout nous porte à croire que, pour elles aussi, la langue maternelle a survécu
à leur indépendance.
Il est donc très probable
que les habitants d'Allos parlaient encore la langue gauloise lorsqu'ils ont
entendu les premiers missionnaires qui ont prêché chez nous l'Evangile.
Cette langue aurait donc été parlée par nos pères pendant les quinze siècles
écoulés entre leur arrivée dans les Alpes et la fin de la domination romaine !
Il n'y a vraiment pas lieu de s'étonner, après cela, que les philologues
trouvent des mots d'origine gauloise dans le provençal que l'on parle à Allos,
plus que dans celui que l'on parle ailleurs.
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